Une enquête dans le passé et dans l’Histoire
Guerre et Térébenthine
Guerre et Térébenthine est un livre sur la disparition d’un monde et d’une époque, broyés par l’atrocité de la guerre 14-18. Mais c’est aussi un livre sur le souvenir. Un livre sur la transmission dans un monde où chaque nouvelle génération réclame une ardoise vierge au nom de la modernité. Nous y découvrons comment ce grand penseur et écrivain flamand qu’est Stephan Hertmans change son regard sur les choses qui l’entourent à travers le travail de mémoire qu’il fait en compagnie des carnets de son grand-père. Hertmans a reçu de son grand-père, Urbain Martien, une série de cahiers dans lesquels celui-ci a retranscrit avec précision l’histoire de sa jeunesse. Pour l’écrivain, c’est le point de départ d’une enquête dans le passé mais aussi dans l’Histoire. C’est l’histoire d’une famille mais aussi celle d’une génération massacrée par la guerre. C’est l’histoire d’un homme qui se réfugie dans l’art pour réparer ses traumatismes et la perte d’un amour fou décimé par la grippe espagnole mais c’est aussi l’histoire de la Flandre, de l’industrialisation, du mouvement flamand, du catholicisme au XXe siècle dans nos régions. C’est enfin une réflexion sur l’art et la modernité. Le modèle et le portrait, l’original et la copie.
Ce récit extraordinaire entre en connexion directe avec l’univers du metteur en scène Jan Lauwers qui dans son chef-d’œuvre, la Chambre d’Isabella abordait aussi l’histoire de sa famille, par le prisme d’objets provenant des voyages son père et porteurs de mille et une histoires enchevêtrées.
Le metteur en scène a choisi d’ouvrir le spectacle à la multiplicité des langages scéniques, pour superposer plusieurs couches de sens et rendre dramaturgiquement la richesse de l’œuvre littéraire. La parole est prise en charge par une Narratrice, interprétée par Viviane de Muynck, avec un personnage supplémentaire, l’Ange de l’histoire, l’observateur subjectif qui navigue sur le récit comme un passeur entre le passé et le présent, les morts et les vivants. La danse, la musique et le langage plastique apportent aussi chacun leur voix particulière à ce grand récit choral. En trois partie, le spectacle raconte d’abord la prime jeunesse d’Urbain Martien, puis les années de guerre, exprimée par la musique et une chorégraphie violente, de corps à corps, et enfin un tableau familial sur lequel vient s’inscrire la perte de l’amour et la fin du récit. La musique, omniprésente, composée par Rombouts Willems pour piano, violon et violoncelle est jouée en live et suit tous les mouvements et rythmes du récit. Urbain Martien, interprété par Benoît Gob, est une présence silencieuse, un copiste qui nous livre ses esquisses au fusain, comme une ponctuation à travers le spectacle.
— Cécile Michel