Naar hoofdinhoud
Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Le besoin d’exprimer ce geste

Filippo Ferraresi / VOIX.E.S

© Laetitia Paillé

Cela fait quelques années que je collabore avec Roméo Castellucci, Franco Dragone et Fabrice Murgia, entre autres, comme assistant à la mise en scène. Il n’est pas évident de travailler pour de tels metteurs en scène et de trouver le temps de s’arrêter pour d’autres projets, tant c’est un plaisir et une activité dans laquelle je m’épanouis. Mais pendant le lockdown, j’ai eu du temps et j’ai décidé — comme une épiphanie — que j’allais faire mes choses à moi. Je me suis mis à écrire.

Mes amis artistes me disent parfois que quand j’arrive dans une pièce, on a la sensation que j’arrive comme à cheval, parce que je suis un type du passé. Pour moi le passé est fondamental. Je suis fasciné par les communautés primitives, les premiers homos sapiens. Tout est parti du premier livre de la série Sapiens : une brève histoire de l’humanité, du professeur d’histoire israélien Yuval Noah Harari. Ce livre évoque ces communautés et m’a amené à réfléchir au fait que, quand on étudie l’histoire à l’école, on la fait démarrer il y a plus ou moins 5 ou 6 000 ans. Sauf que nous sommes homos sapiens depuis au moins 200 000 ans. Que s’est-il donc passé en 190 000 ans ? Il y a eu des sapiens comme vous et moi. Qu’ont-ils laissé ? Cette question me taraude, je songe à toutes ces générations, ces épopées humaines qui ont traversé si discrètement le monde et la nature.

À un moment donné dans la ligne du temps et de l’histoire, quelqu’un a décidé de faire une peinture dans une grotte. Aujourd’hui on en parle de façon un peu romantique, on les minimise, on se dit « oh ils étaient choux ». Mais ce n’est pas ça du tout, ils étaient en fait comme nous ! Le premier homme ou la femme qui a tracé ces lignes pour la première fois était un ou une artiste qui avait eu le besoin d’exprimer ce geste. Tout comme Léonard de Vinci ou Warhol ont eu ce besoin. Avant ça, il n’y avait pas d’Art ! La puissance même de cet acte vient du fait que c’est vraiment quelque chose de nouveau, qui s’impose comme la foudre dans la vie de l’homme et qui ne nous quittera jamais plus. Comment a-t-il fait, cet humain, pour penser une chose pareille ? C’est inouï !

Beaucoup d’anthropologues ont étudié cette question et l’une des réponses principales, c’est que pour l’homme primitif comme pour nous, l’Art est un besoin. De quoi est né ce besoin ? Entre ceux qui allaient chasser et ceux qui restaient dans la grotte, on se dit aujourd’hui qu’ils ont dû s’ennuyer et ont commencé à dessiner des animaux bizarres. Ils utilisaient aussi probablement le son, on le sait depuis qu’on a trouvé à Lascaux des chambres plus rondes qui reproduisent le son des taureaux dessinés, et une autre chambre plus étroite, au son plus aigu correspondant à des animaux plus fins. Ce n’est pas le fruit du hasard : ils avaient décidé de peindre des animaux selon l’espace où ils étaient pour reproduire des bruits. Et donc des cérémonies. Et donc des rites. Et donc du théâtre !

C’est mon point de départ pour écrire Dans la caverne, comme un voyage astral et mental raconté par une femme, témoin de l’acte de création et foudroyée par sa puissance et par l’impact qu’il exerce sur la communauté vivant dans la caverne. Le metteur en scène Robert le Page a dit que la radio est la forme d’art la plus visuelle. J’ai donc beaucoup joué à trouver une évocation sonore. Et c’est pour ça que dans l’écriture, j’utilise des mots organiques, afin qu’ils parlent à tout le monde. J’ai essayé d’utiliser un langage qui pouvait correspondre à celui qui aurait été celui de ma narratrice. Non pas familier mais complet, sophistiqué, imagé sans être intellectuel. Elle parle avec les images, elle décrit la nouveauté et le sens de l’acte de création auquel elle assiste et c’est très organique : elle parle des os, du sang, du bois, de la pierre, du feu... La musique électronique de Nicola Ratti, véritable objet artistique, renforce encore cet aspect organique et immersif. Il a travaillé avec des vieilles machines analogiques pour déformer la voix de la comédienne Vanessa Campagnucci et lui donner ce rendu métallique, de façon à créer un écho qui évoque la grotte.

Il existe sûrement un parallèle entre le confinement et Dans la caverne mais je ne le connais pas, c’est un lien non voulu. D’ailleurs, je ne pensais pas que parler du confinement sur le moment soit intéressant. Pour comprendre ce qui se passe avec cette pandémie, il faut du recul, quelques années pour saisir les conséquences de ce que nous aurons vécu. Ce lien s’est exprimé malgré moi. Comme l’eau, l’idée a trouvé le moyen de sortir, de creuser la pierre. Si le spectateur le sent, c’est juste en tout cas.

— Propos recueillis le 23 février 2021.

Filippo Ferraresi présente 
la fiction audio
Dans la caverne

dans le cadre de
VOIX.E.S, la saison à l'écoute
du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
voixes.theatrenational.be
Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024