Sortir du théâtre pour un dernier parcours poétique et théâtral
Le Dernier salut / Interview / Partie I / Nicolas Buysse
Quel est le point de départ de cette création ?
Fabrice Murgia est venu me trouver, m’expliquant que le National avait trois comédiens permanents – Alfredo Cañavate, Patrick Donnay et Jean-Pierre Baudson – qui allaient prendre leur pension en décembre 2019. Il m’a proposé de réaliser un spectacle ancré sur leur histoire, en utilisant la matière artistique que j’affectionne particulièrement : la rue. L’idée était de les sortir du théâtre pour un dernier parcours poétique et théâtral. Un challenge pour eux, car aucun des trois n’a pratiqué le théâtre hors salle, le théâtre en rue, en contact direct avec la réalité de la vie. Ils ont très vite été enthousiasmés par l’idée. C’est comme cela que le processus créatif de ce spectacle a débuté. Nous l’avons appelé « Le Dernier salut » comme un dernier salut à leur métier, ou à une certaine manière de pratiquer ce métier. Un dernier salut au Théâtre National, qui a été leur maison pendant plus de 30 ans. Et enfin, un dernier salut au public.
Même s’il y a beaucoup de « derniers », ce ne sera pas un spectacle larmoyant ! Il y a beaucoup de second degré sur eux-mêmes et sur le métier. Et puis tout le monde sait très bien qu’un comédien ne s’arrête jamais véritablement de jouer. Mais du point de vue de l’institution, comme dans beaucoup de métiers, pour eux, l’âge de la retraite a sonné.
On fait d’ailleurs un spectacle qui dépasse le cadre de la retraite des comédiens ou la retraite en général. La question est : « Qu’est-ce qu’une première fin de vie de travail ? » puisqu’aujourd’hui on vit de plus en plus vieux.
Comment vas-tu travailler avec ces comédiens pour évoquer leur parcours ? De quoi se nourrit le spectacle ?
On a d’abord souhaité utiliser ce qu’ils sont, à savoir des comédiens. Je leur ai demandé à chacun d’amener un texte qui les a particulièrement touchés durant leur carrière. Leurs choix vont de Corneille à Stig Dagerman, en passant par des lettres de Gorki à Tchekhov.
Ensuite, on utilise le processus sonore. Le spectateur reçoit un casque audio ce qui offre la possibilité, grâce à l’outil artistique qu’est le National, d’obtenir un son incroyable et de pouvoir le diffuser tout au long de la balade. On utilise tous les codes radiophoniques à l’ancienne, à la différence qu’on le fait en direct. On peut envoyer du bruitage, des musiques, ect.
Le processus permet aussi aux comédiens d’utiliser tout leur talent : ils peuvent chanter, déclamer des poésies, ect. On a un réservoir de textes qu’ils pourront utiliser un peu de manière improvisée en fonction des rencontres qu’ils feront. Et puis des passages bien établis où ils pourront tout à coup recréer une scène de théâtre en plein milieu de la ville. Les spectateurs seront tous munis d’un petit siège de camping et on pourra recréer une salle, avec son décor, un peu où on le souhaite dans la ville.
On fait donc un travail de plateau pour préparer les textes et puis on part dans la ville pour se nourrir des lieux, des murs, d’un lampadaire, d’un banc public, d’une terrasse de café, d’une façade d’hôtel,…tous ces lieux de jeu infinis que propose la ville !
Le dernier salut est donc plus un hommage au métier qu’un adieu aux trois artistes ?
Oui c’est un hommage au métier et à toute une vie donnée à ce métier car cela demande beaucoup de sacrifices. On a fait une moyenne avec les comédiens : il s’avère qu’ils ont joué plus ou moins 150 soirs par an. Avec un rapide calcul, cela représente presque 2.000.000 de spectateurs par comédien. Donc à eux trois, ils additionnent quelque 6.000.000 de spectateurs !
Mais c’est aussi un hommage à ces immenses comédiens et à l’enthousiasme que l’on peut encore avoir sur un terrain de jeu.
C’est enfin un hommage des trois comédiens au public. Tout le spectacle est conçu comme une surprise préparée pour remercier ce public. Cela commence par un pot d’adieu dans un petit café pas loin du Théâtre National, avant de partir en ville. Je voulais un spectacle « gourmand ». Ils sont hyper fiers d’avoir préparé cette surprise pour le public. Mais ils sont régulièrement rattrapés par l’émotion, se rappelant que c’est peut-être la fin.
Ce sera aussi un peu interactif car le public sera équipé de la scénographie du spectacle. On a créé une quarantaine de lanternes lumineuses (Ditte van Brempt), réalisées avec les anciennes affiches dénichées dans les caves du Théâtre National. Elles seront portées par les spectateurs. Autant d’affiches pour autant d’histoires qui circuleront dans la ville.