Entretien avec Daisy Ransom Phillips
Next Step
La danseuse et chorégraphe Daisy Ransom Phillips revient sur la genèse de son projet autour de la marche à l’unisson. À travers des ateliers menés avec deux groupes de femmes, elle explore le pouvoir du mouvement collectif, la résonance des gestes partagés et la manière dont la danse peut créer du lien au-delà des mots.
Comment a débuté ton aventure au sein du festival À la scène comme à la ville ?
J’avais cette idée de faire un projet de médiation avec des gens qui n’ont jamais expérimenté cette pratique de recherche de l’unisson. Je voulais unir différents groupes pour marcher ensemble et les préparer en effectuant des exercices d’écriture et de mouvement libres. Nous avons tous·tes des possibilités physiques qui ne sont pas utilisées au quotidien. Après avoir fait le spectacle la saison dernière, on a eu envie de continuer. On a vraiment choisi de faire cette deuxième édition.
Peux-tu me parler des ateliers que tu as menés avec Lisa Capaccioli tout au long de l’année avec ces deux groupes de femmes ?
On a trouvé deux groupes de femmes très enthousiastes. On les a faites venir au Théâtre sans qu’elles se rencontrent avant, on les a tenues séparées jusqu’à ce qu’elles se soient retrouvées pour marcher à l’unisson autour du Théâtre National. Elles ne s’étaient jamais parlé. Tout le monde a ressenti quelque chose de magique. Ce besoin de se présenter à quelqu’un·e autrement, de se dire bonjour autrement, sans échanger un seul mot a apporté une profondeur à leur connexion. De là, on a continué à travailler ensemble toujours en cherchant des mouvements de plus en plus compliqués, des chorégraphies souvent inspirées de leurs mouvements quotidiens mais aussi issues de l’imagination. On a beaucoup travaillé sur le rythme. On continue à travailler sur la marche. Le spectacle sera comme une mer d’où surgissent de temps à autre des mouvements plus oniriques, plus abstraits.
Pourquoi travailler en tant que danseuse sur le principe de la marche à l’unisson ?
J’avais lu un article qui relatait les résultats d’une étude réalisée en Hongrie sur la marche à l'unisson entre des personnes Roms et des citoyen·nes hongrois·es et qui a montré un effet réel sur l’empathie, sur la déconstruction des préjugés entre les personnes qui l’ont pratiquée. Cet effet disparaissait quand les gens marchaient simplement côte à côte, sans être à l’unisson.
Cette étude m’a fascinée, j’ai découpé cet article dans le journal et je l’ai laissé plusieurs semaines accroché sur mon mur. Cela m’a paru évident car je suis danseuse, j’ai passé ma vie à chercher cet unisson dans le ballet classique. Il y a donc une véritable connexion qui se fait quand deux personnes alignent leur corps, bougent et respirent ensemble.
Comment travaillez-vous le langage du corps ?
On utilise les mots comme une base pour lancer la créativité des mouvements. Cette année, on a notre langage physique et les propositions viennent très librement. Je leur demande toujours de partager une phrase. C’est important pour moi que le matériel écrit ou en mouvement vienne d’elles, sans se soucier du regard des autres, en se libérant de la peur de faire quelque chose devant un public.
Est-ce que la danse a justement le pouvoir de rassembler des publics différents ?
Je suis danseuse et j’ai commencé à quatre ans à faire du ballet classique. Je crois profondément que la danse est faite pour tous·tes, tout le monde peut danser. La danse apporte quelque chose dans le quotidien qui est très important pour survivre dans ce monde. Il y a des gens qui trouvent ça dans le chant ou dans la musique mais, pour moi, il y a quelque chose en plus en bougeant le corps. Même pour les personnes porteuses de handicaps, qui peuvent également sentir le rythme en ell·eux. La pratique de la danse est faite pour tout le monde. La danse, en tant qu'art et moyen de communication, peut être lue de mille manières. J'aimerais donner confiance aux gens dans le fait d’être capable de regarder un spectacle de danse et en prendre quelque chose. Beaucoup de personnes ne vont pas voir de la danse car i·els pensent qu’i·els ne vont pas comprendre. J’aimerais leur dire que ce que l’on sent en voyant de la danse est toujours juste.