Passer au contenu principal
Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Entretien avec Marie Goudot, Michaël Pomero et Robin Haghi

Passé sous silence

Une traversée
Avec Passé sous silence, le collectif Youngsters crée un espace d’expression pour des jeunes de l’école Plurielle Maritime autour des violences faites aux femmes. Un projet où le corps, la parole et l’écoute se rencontrent pour libérer les vécus. Entretien avec trois artistes du collectif.
Droits réservés

Pouvez-vous me raconter la naissance des Youngsters ? Pourquoi avez-vous ressenti la nécessité de vous constituer en collectif ?

Michaël : Nous sommes un groupe de six artistes qui viennent de la danse contemporaine et nous avons tous·tes, à différents moments de notre vie, travaillé pour de grosses institutions. On a tous·tes travaillé avec Rosas, la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker. On est six artistes internationau·les avec des origines très diverses : chinoises, japonaises, françaises, perses. On s’est également dit que la diversité de notre groupe permettait d’atteindre la diversité de la ville de Bruxelles, qui est extraordinaire. À la sortie du Covid, il y a eu cette envie pour chacun·e d’entre nous de sortir de cette niche de la danse contemporaine qui peut facilement exiler ses participant·es de la ville et de la vie.

Il y avait ce désir politique de s’engager ensemble à construire des plateformes d’échanges auprès des jeunes à Bruxelles. On a commencé à réfléchir sur la manière de s’adresser à des jeunes et on a mené une série d’ateliers à destination des MENA, avec le collectif UMOYA. Le choix que nous avons fait c'est de se positionner en tant que facilitateur·ice. Nous ne sommes pas là pour enseigner quelque chose mais pour faciliter les désirs d’expérimentation artistique des jeunes. On essaie d’identifier quelle étincelle peut nous aider à rencontrer leurs désirs. On utilise chacun·e nos particularités et nos compétences pour les faire exister. Voilà la manière dont on pense ces rencontres, en essayant d’y créer principalement des échanges.


Comment a débuté ce projet avec le Théâtre National et l’école Plurielle Maritime ?

Marie : À Plurielle Maritime, les jeunes sont en option art d’expression. Tout au long de l’année, i·els écrivent collectivement une pièce de théâtre sur la thématique de la violence faite aux femmes, qu’i·els ont choisi ell·eux-mêmes et pour laquelle i·els aimeraient mobiliser leurs corps.


Quelle proposition venant des jeunes vous a surpris·e ?

Marie : C'est surtout de les entendre un·e par un·e parler des violences qu’ell·eux-mêmes ont subi. C’était très marquant d’entendre leur vécu. S’i·els arrivent à faire la pièce de théâtre qu’i·els veulent et qu'on arrive de notre côté à leur apporter tout ce qu’on peut au niveau du corps, i·els vont pouvoir libérer ce qu’i·els ont vécu via un objet artistique. Pour nous tous·tes, c’est aussi ça l’utilité de la culture. Ces jeunes vont avoir l’opportunité de pratiquer la forme poétique la plus politique qui soit. Comme certain·es ont vécu ce type de violence, i·els vont s’en servir pour l’exorciser.


Comment travaillez-vous le corps avec ell·eux et particulièrement la thématique de la violence faite aux femmes ?

Robin : On leur demande par exemple de prendre l’espace comme un homme ou comme une femme. Qu’est-ce que ça change dans le corps, les mouvements, dans l’espace. On les fait travailler sur des postures. On est plus sur un processus que sur une recherche de résultats. On travaille la physicalité des corps, c’est expérientiel et on ne sait comment i·els vont s’emparer de tout ça.

Marie : Nous ne voulons pas les emmener dans des zones inconfortables en travaillant sur la violence. On essaie d’être attentif·ve à ne pas générer d’autres traumas. On doit être très vigilant·e, c’est une ligne de crêtes, c’est toujours le cas avec des jeunes et encore plus si le sujet est délicat.

Qu’est-ce que ce type de travail vous apporte en tant qu’artistes dans vos parcours individuels mais aussi comme collectif ?

Michaël : En tant qu’artiste, travailler avec ce type de publics permet de prendre du recul. Habituellement, on travaille avec des amateur·ices de danse, ce qui n’est pas forcément le cas avec des jeunes qui sont à un âge où le corps pose question, où il y a une réticence très forte à aller vers le corps.

On est obligé·e de prendre du recul pour comprendre comment les mettre en mouvement et aller chercher des choses corporelles très fines car i·els ne vont pas forcément se mettre à danser d’ell·eux-mêmes. Comment réussir à aller de la parole au corps, ce sont aussi des questions qu’on aborde dans nos projets personnels.

On apporte la pratique du corps artistique et i·els nous donnent le désir et leurs résistances. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment on va négocier pour travailler ensemble.

Iels font aussi des connexions qu’on ne fait pas forcément.


Avez-vous une idée de la forme que cela prendra au festival À la scène comme à la ville ?

Marie : Nous n’avons pas imposé des envies. On sait déjà que le spectacle ne prendra pas la forme que l’on a imaginée. La présentation de leur travail sera la somme de tous les désirs qui s’inventent au fur et à mesure. En tout cas, les jeunes sont au cœur du processus, le nourrissent, tout vient d’ell·eux.

Chaque fois qu’on les voit, on se dit qu’i·els sont extraordinaires et ça donne encore foi en l’humanité.


Quel sens a en définitive pour vous ce type de travail auprès des jeunes ?

Marie : J’aimerais insister sur l’espoir que ce genre de projets nourrit. Ces jeunes qui ont de l’envie, qui questionnent, des professeur·es aussi incroyables, des théâtres qui organisent ce genre de manifestation. Je pense que ce n’est pas assez pris en compte dans le monde artistique professionnel. On n’est pas du tout éduqué·e à ça, c’est souvent traité avec un relatif mépris par les grands noms.

On est tous·tes d’accord en tant que collectif de travailler au changement des mentalités par rapport à ce type de projets. Après, ces jeunes vont faire partie de la vie culturelle de Bruxelles. Il faut que ce soient les institutions, les artistes, les écoles qui décloisonnent, comprennent la place politique de cette démarche et surtout aujourd’hui au vu de l’état du monde dans laquelle elle s’inscrit.

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024