Terrains de création — à l’Est du Cameroun
Zora Snake
La façon qu’a Zora Snake de parler de son exploration avec une partie de l’équipe artistique de Combat des lianes à l’Est du Cameroun en janvier 2025 chez les communautés Baka en dit beaucoup sur sa manière de créer. Il raconte ici cet état de cheminement vers un autre état de perception où les chants et les sifflets se font entendre, précisément dans un tout-lianes, où tout est relations.
Les communautés Baka accordent une importance essentielle à la bienvenue des peuples d’ailleurs, qu’elles ne jugent pas « différents ». Lorsqu’une personne arrive au village, tout le monde est aussitôt alerté par les appels, les sifflets et les instruments de musique. Les familles, les femmes avec leurs enfants se rassemblent et forment le cercle. Où les chants polyphoniques se font entendre, les rythmes des percussions, les claps. I·Els nous ont invité·es à entrer dans le cercle et créer une sorte de cordon ombilical, relié et reliant les communautés. Invocation de l’esprit de la liane.
Après le rassemblement, le tam-tam retentit et se continue dans les vibrations. D’ailleurs, dans Combat des lianes, le tam-tam est suspendu à plus de deux mètres du sol pour produire un son retentissant d’une grande intensité. C’est pour montrer l’élévation de l’esprit par le chant (la voix, la mélodie), la danse et l’instrument de musique. C’est la règle de trois.
La plupart du temps, ce sont les femmes qui créent la symphonie, à la fois rythmée et dé-rythmée, spontanément et dans le cercle. Ce qui rappelle le serpent, la spirale, le rythme de réincarnation ou l’univers – la cosmogonie du globe que nous sommes. Nous cherchons à l’intérieur de nous. La liane est à l’intérieur de nous. Nous sommes la liane.
Dans Combat des lianes, la trame musicale est très organique, elle est faite, entre autres, des chants de colère face à la déforestation. Les arbres sont des âmes. Lorsqu’un arbre tombe, c’est une âme qui s’en va. Chez les communautés Baka, on enterre les corps des patriarches dans les arbres. C’est la raison pour laquelle, « couper un arbre » et « l’acheminer par container », c’est tuer deux fois le patrimoine ancestral des communautés Baka.
L’homme que l’on voit, nous a ébloui.es par sa danse. D’abord, il est venu sans rien, il a dansé, jusqu’à entrer en transe. Puis, il est allé chercher ce qui lui manquait. Il est réapparu « transformé », le visage noirci. Le remède recouvre tout son visage. Ses grands-parents travaillaient les écorces des arbres pour traiter les humains. Ils lui ont légué le remède pour se protéger des personnes qu’il ne connait pas lors de la cérémonie. Comme nous ne sommes pas des mauvais esprits exploitateurs, les ancêtres des communautés Baka ne nous ont pas barré la voix, ni la vue.
Les enfants sont assis dans les racines. Ils nous observent. L’image nous fait penser à ce qui est transmis de génération en génération : les liens avec la forêt et les ancêtres. Nous avons demandé aux communautés Baka : qu’est-ce que la forêt sacrée ? Elles nous ont répondu : la forêt n’existe pas. Elle existe en chacun.e de nous. C’est nous la forêt. Nous faisons partie des mondes aquatiques, végétaux, aériens – que nous consommons. La forêt est peuplée d’êtres vivants et d’esprits vivants. D’où la phrase que nous avons souvent entendue dans les villages et que l’on entend aussi dans Combat des lianes : la forêt c’est nous. Nous sommes la forêt.
— Propos recueillis par Sylvia Botella