Pas-sage
MàD
« Pas-sage ? Vous avez dit : passage ? Pas sage ! ». « Oui, c’est ça ! », répondent en riant Caroline Lamarche et Joëlle Sambi, autrices associées du Théâtre National et co-curatrices des MàD 2025. Du noir sur du blanc, et du mauve, « Pas-sage », un seul mot et deux mots qui s’accolent. Cela en dit certainement long sur notre époque. S’y intéresser est donc essentiel. Car ne pas rester à sa place, faire passage sans être sage ne fait-il pas société ? !
Le passage est un terrain d’expérimentations propres, un endroit exagérément vivant, plus versicolore où l’on devient ce que l’on est, et ce que l’on ignore encore ; un creuset où les passeur·ses surgissent dans les relations immédiates, où notre empathie vacille, parfois contre soi, où nos gestes défont et font advenir ce qui tarde à venir.
Le passage est « une éthique de la réciprocité », c’est un va-et-vient contre l’entre-deux inerte et les vies figées. Caroline Lamarche y voit l’urgence de transmettre les mots des invisibles et leurs histoires cachées, ordinaires et extraordinaires. Recueillir les mots et les silences, les partager, lancer et relancer les questions et les complicités pour passer ensemble, justement.
Est-ce qu’on a envie d’être encore sage ? Sans doute pas. Peut-être qu’on n’a plus envie d’être englué·e dans une sagesse empoisonnée, de se couper de son propre cœur et de ce que l’on ressent. On se souvient alors de ce que dit Joëlle Sambi aux violé·es, battu·es, et incestué·es : « ce que vous avez vécu, fait de vous des personnes ‘sages’. Or vous avez le droit de ne pas être sages. Soyez désobéissant·es. C’est ok ! Contrairement à ce que vous croyez, vous n’êtes pas seul·es ». Sa phrase est presque un motto qui touche au corps comme à l’esprit : ne restez plus à la porte.
Le festival MàD est fort de ses artistes (ré)uni·es. Puisque aucune essence ne la fige, c’est de La Pensée straight de Monique Wittig qu’il faut partir pour tenter d’y voir plus clair avec DameChevaliers – Caro Geryl et Adèle Haenel. On peut dire qu’elles créent une onde de choc dans leur manière de nous engager dans la déconstruction du genre et du langage et aboutir à une égale dignité dans le cercle et au-delà. C’est à mains nues que Mathilde Van Volsem fraye le passage dans ANIMA de Maëlle Poésy et Noémie Goudal, élevant la fin d’un monde à la conscience pour faire naître d’autres possibles dans ce qui reste du paysage.
Espérons que cette édition placée sous le signe de l’expérimentation formelle et des écritures actuelles, transdisciplinaire et délibérément réjouissante qui multiplie les formats – où l’on retrouve aussi les vies pêle-mêle de Cécile Laporte et Marion Duval ; le parcours d’émancipation financière de Julie Lombe et Sara Machine ; les deux Maguelone Vidal pas si sages ; les prises de parole des immenses proposées par Laurence Vielle et Laurent d’Ursel autour de la refonte iconoclaste de la langue de l’exclusion ; le catch littéraire avec MC King Baxter & Guests –, nous fasse bouger. Un peu. C’est déjà ça. C’est là notre désir fou et notre engagement profond.
Des contre-allées pas sages, des points de passage.
Pierre Thys, Directeur général et artistique
& l’équipe du Théâtre National Wallonie-Bruxelles