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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

La pièce des pièces !

Hamlet

Christophe Sermet
Inspiré par Shakespeare, théâtre qu’il arpente à sa manière depuis longtemps, Christophe Sermet signe l’adaptation et la mise en scène de Hamlet. Poésie et musique pour un récit qui pulse vivement. Et si le théâtre pouvait nous éclairer sur ce que nous vivons intimement et collectivement. Conversation avec l’artiste.
© Théâtre National Wallonie-Bruxelles

La première fois que vous avez rencontré l’œuvre de Shakespeare, c’était quand ?

Comme pour beaucoup, au conservatoire. Je n’ai pas un souvenir précis. Je dirais que Shakespeare est arrivé par petites touches. Il a infusé. Cela étant dit, je me suis intéressé très vite à Hamlet. Est-ce parce qu'Hamlet est réputé pour être la plus grande pièce du répertoire et la pièce du plus grand dramaturge ? Est-ce parce qu’il persiste un grand mystère dans la pièce ? Je ne sais pas. C’est le mystère Hamlet. Pourquoi s’y intéresse-t-on, c’est déjà un mystère. (Sourire)
 

Quel rôle le théâtre shakespearien a-t-il joué dans votre parcours de metteur en scène ?

Même si j’ai déjà travaillé sur le répertoire de Shakespeare avec les étudiant·es en école d’art ou monté la pièce La Reine Lear adaptée par Tom Lanoy au théâtre, c’est la première fois que je monte Shakespeare véritablement. J’ai surtout été influencé par les dramaturges de l’Est tels que Gorki ou Tchékhov, des théâtralités plus « domestiques ».

J’ai attendu longtemps avant de me frotter à Shakespeare. Sans doute à cause des difficultés liées à la traduction et à la représentation de la violence. Peut-être aussi ai-je trop vu de pièces shakespeariennes trop platement accommodées à l’ère du temps et à l’actualité ?

Si je suis très intrigué par le théâtre élisabéthain et ses pratiques, c’est parce qu’il avait l’ambition de s’adresser à tous les publics, le théâtre, à ce moment-là, voulait à la fois être populaire et dialoguer avec les élites, ce qui n’était pas sans provocation. La vie, dans ce qu’elle a de plus âpre, y faisait irruption.

C’est pourquoi Shakespeare nous attire tant. Son écriture est l’antithèse des écritures francophones. Elle est baroque, foutraque, parfois mal foutue. Selon moi, l’idée fondamentale est moins celle d’écrire l’œuvre parfaite que d’amener la vie sur le plateau. Shakespeare, c’est le théâtre vivant à tout prix, coûte que coûte, jusqu’à la mort. C’est précisément ce qui m’intéresse. La vie intense, la mort brutale, et l’ironie qu’il y a entre. Au théâtre, bien sûr !
 

Qu’est-ce que nous fait Hamlet, aujourd’hui ?

Hamlet questionne le fait de se questionner. Ce qui amène à la question de l’identité intime. Qui suis-je par rapport à moi-même ? Et à celles et ceux qui m’entourent ? Qui suis-je par rapport à ce que je me suis promis d’être ? Qui suis-je par rapport à ce que l’on attend de moi ? La famille ? L’état ? Et finalement, le monde.

Shakespeare parvient à nous parler de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, de l’intime et de l’univers, dans une phrase unique. Ou en tout cas, de l’intime au monde. Il est très moderne. Son écriture continue à nous parler. Tandis que bon nombre d’écritures du répertoire classique restent engluées dans le passé.

Shakespeare nous met face à nos ambitions, et nos rêves. Il y a ce que l’on veut faire et ce que l’on parvient à faire. Il y a là une éthique. D’ailleurs, on note aujourd’hui le retour de la question de l’éthique par d’autres biais.

Pour autant, Hamlet n’apporte pas de réponses concrètes. Il nous permet de nous regarder dans un miroir fragmenté. Ce qui résonne beaucoup avec notre époque qui nous bombarde d’images de nous tronquées, fallacieuses. Nous sommes sans cesse contraint·es de nous comparer à celles et ceux qui nous entourent.

Le personnage Hamlet est équivoque, excessif, sans fard. Il ôte les masques, un à un. La métaphore théâtrale est partout. La sincérité est-elle possible dans le monde ? La sincérité à laquelle on veut croire résiste-t-elle dans le monde ? La sincérité dans l’amour, dans les relations d’amitié, dans la raison d’état (ou bien commun) ? Telles sont ses questions.
 

Aviez-vous des références cinématographiques ou théâtrales avant de vous mettre au travail ?

Nous en avons tous·tes ! Nous sommes beaucoup à avoir vu plusieurs adaptations théâtrales ou cinématographiques de Hamlet. C’est LA pièce des pièces !

Il est possible d’en parler en citant uniquement des extraits de films ou de pièces. D’où mon envie de garder une forme de naïveté, voire une certaine distance à son égard. Autrement dit, raconter tout simplement l’histoire d’Hamlet sans être « citationnel », ni partir du postulat – souvent erroné – que tout le monde connaît l’histoire.

Contrairement à ce que l’on pense, la pièce est très complexe. Pour moi, il est donc important de ne pas mettre l’accent sur les punchlines. Avec les acteur·ices, j’aborde la pièce en la plaçant à bonne hauteur de femmes et d’hommes d’aujourd’hui.


Justement, vous avez adapté le texte à plusieurs mains, les vôtres et celles de Caroline Lamarche. 

Le processus d’adaptation a été à la fois long et passionnant. J’ai lu Shakespeare dans le texte. J’ai pris connaissance de bon nombre de traductions en français. On peut dire qu’il existe même une histoire de la traduction de Shakespeare en français avec les traductions d’Yves Bonnefoy, Paul Celan ou François-Victor Hugo. J’ai également lu certaines traductions en allemand et en italien.

Sous quelle forme reçoit-on Shakespeare, aujourd’hui ? J’ai d’abord réalisé un vrai travail de fond avant de transmettre une première version à Caroline Lamarche. Elle l’a ensuite retravaillée de manière très simple en posant un regard nouveau sur elle, en la questionnant. On peut dire qu’à sa manière, elle l’a redécouverte. Et c’est d’autant plus intéressant que Caroline Lamarche est écrivaine. Elle amène du concret dans l’écriture.

Le pari était de ne pas édulcorer ni lisser la langue shakespearienne qui est la fois truculente et étrange : ses figures poétiques sont étonnantes.

Nous avons trouvé une langue à la fois fidèle et concrète, qui a à voir avec celle d’aujourd’hui, me semble-t-il.

Comment avez-vous travaillé avec les acteur·ices ?

Ici, je travaille à la fois avec des acteur·ices avec lesquel·les j’ai travaillé récemment, que je ne connaissais pas, ou encore avec lesquel·les je n’ai pas travaillé depuis longtemps. C’est une distribution très hétéroclite qui permet de ne pas se réfugier dans des automatismes.

J’ai peut-être voulu travailler ici davantage sur les contrastes. Je ne suis pas obsédé par la recherche d’un langage commun.

Pour moi, il est important que les acteur·ices s’approprient Shakespeare en fonction de leur nature propre – elle doit s’entremêler à la poésie du personnage, comme une sorte d’alchimie. Et c’est d’autant plus important que l’histoire d’Hamlet n’est au fond rien de moins que la quête de soi dans le monde.

Avez-vous été surpris par certaines propositions de jeu ?

J’ai été surpris, et je le suis encore. L’une des choses les plus surprenantes sans doute est que le spectre du père est joué par l’actrice Anne-Marie Loop qui est, pour moi, l’une des consciences du théâtre belge francophone. Elle a traversé toutes les époques. Elle charrie des pans entiers de l’histoire du théâtre belge récent. Le timbre de sa voix me saisit à chaque fois. En outre, les acteur·ices ont été formé·es dans les différentes écoles d’art belges et françaises. Il n’y a pas de chapelle. Ce qui transparaît sur le plateau, ce sont les complicités. Pour moi, la pièce parle beaucoup d’amour, d’amitiés. Même si cela peut sembler un peu galvaudé à l’aune des questions de genre, on sent aussi que l’amitié se confond avec l’amour avec beaucoup de fluidité.


Si vous deviez formuler un vœu pour 2025, quel serait-il ?

J’aimerais que les conflits prennent fin, c’est le bon sens même, y compris ceux que l’on a tendance à oublier comme celui au Soudan. Le personnage de Hamlet questionne la violence. Sur fond de guerre, il lutte en vain contre le recours à la violence en convoquant le théâtre et la poésie. Il y a du sang sur le plateau. Comment ne pas penser à ce qui se passe dans le monde aujourd’hui ?

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en janvier 2025

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024