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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Le corps, c’est le slam !

Beat’ume

Z&T
Le duo Z&T slam et rap, Zouz et T.A poursuivent leur réinvention de la langue, et des corps. Elles signent leur premier spectacle Beat’ume. Fort en énergie, poétique et sensible, il parle avec une sincérité désarmante et un humour grinçant des situations de violence dans la ville qu’elles ont observées et/ou vécues de plein fouet. Il se murmure qu’il y aura plein de dingueries hyperlibres et de joies militantes sur le plateau du Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Conversation avec Zouz et T.A qui sont contre toute forme d’invisibilité, d’exclusion et d’injustice.
© Abebe Bris

Qui sont Zouz et T.A ?

Nous sommes le duo Z&T slam et rap, Zouz et T.A Nous sommes amies et travaillons ensemble depuis six ans. Nous venons de la scène underground : nous avons débuté dans les scènes ouvertes du slam.

Nous faisons également partie des deux collectifs Slameke et Anti-Cyclone. Nous faisons un million de trucs. (Rires) Nous tournons le spectacle Beat’ume. Petite parenthèse : le texte est publié aux éditions maelstrÖm reEvolution. Notre deuxième livre Sur le Boulevard sortira à l’occasion de la reprise de Beat’ume au Théâtre National aux éditions Midis de la poésie. À cette occasion, nous avons collaboré avec la photographe de rue Marie Sordat.

Nous animons également des scènes et des ateliers. Nous organisons des évènements hip-hop inclusifs et féministes dans le cadre du collectif Anti-Cyclone.


Vous êtes deux femmes qui regardent en face les violences dans la ville et en parlent sans compromission. Est-ce une manière pour vous de reprendre le pouvoir face à des comportements que vous observez sans en être forcément les victimes ?

Effectivement, Beat’ume aborde bon nombre de sujets dont nous sommes témoins. Ou que nous vivons personnellement. Malheureusement, nous ne pensons pas que les performer nous permette de reprendre le pouvoir. En revanche, cela nous permet de les visibiliser, d’ouvrir non seulement notre parole mais aussi celle des publics. Il nous arrive souvent d’en discuter avec des spectateur·ices après la performance.

Par exemple, il y a la scène sur le boulevard qui est très théâtralisée, oscillant entre texte et musique. Elle témoigne de notre passivité. L’évoquer sur le plateau, nous permet de visibiliser les causes que nous avons à cœur de partager.
 

Ce qui est frappant, c’est le lien qui existe entre votre choix esthétique « multi », votre expérience de la ville et votre regard critique. Tout est inextricable. Comment cela agit-il ? Comment tissez-vous le récit ?

Nous nous sommes posées précisément la question au moment où Rosa Gasquet essayait de nous convaincre de faire de Beat’ume un spectacle. Ce que nous refusions absolument. Rosa insistait en argumentant : ce que vous dites, vous le dites de manière critique. En faire un spectacle, vous permettrait de toucher des publics plus larges.

Si nous le refusions, c’est parce que nous ne voulions pas forcément tisser du lien entre ce que nous disions. Nous ne voulions pas incarner des personnages, ni faire du théâtre. Nous voulions seulement faire du slam et du rap sur des scènes ouvertes.

C’était notre défi principal : comment amener le slam et le rap – ce sont des arts de la parole, on y parle de soi, de ce que l’on a vécu en toute sincérité – sur une scène de théâtre ? On ne peut pas parler de ce que l’on n’est pas ou de ce que l’on n’a pas vécu. Dans le slam, c’est même la règle.

Nous ne voulions pas réfléchir au traitement esthétique de peur de dénaturer la parole. Ce qui nous a beaucoup aidées ? C’est sans doute ce que nous ont dit les artistes avec lesquel·les nous avons collaboré : vous pouvez développer une esthétique très simple, avec des liens qui ne dénaturent pas les faits réels que vous déposez sur le plateau.

À force de travailler et discuter, nous avons développé une esthétique qui nous est propre. C’est précisément ce qui nous a convaincues d’y aller.
 

Concrètement, comment faites-vous « spectacle » sans trahir la parole authentique du slam et du rap ?

Nous avons fait beaucoup d’improvisations guidées par la dramaturge Diana David avec l’exigence de rester nous-mêmes. C’est important ! Nous utilisons nos noms, nous parlons de nous, de notre vécu.

Ce que nous disons sur scène, évolue au gré de ce que nous vivons. Par exemple, T.A a travaillé un temps avec des jeunes. Nous l’avons évoqué dans Beat’ume, notamment dans les interludes qui s’ancrent vraiment dans la réalité du jour J.

Dans le spectacle, le liant, c’est l’interlude durant lequel on échange avec le public, on fait des blagues. C’est notre manière de faire récit.

À l’exception de certains textes qui sont « fixes », aucune représentation de Beat’ume ne ressemble à une autre. Ce que l’on se dit, les blagues que l’on fait sont à chaque fois différentes.

Dans Beat’ume, nous évoquons également les personnes, les collectifs avec lesquels nous travaillons. À ce propos, nous réservons une surprise aux publics du Théâtre National. Nous avons modifié le spectacle. Mais nous n’allons pas spoiler. On va se faire plaisir. (Rires)


Au regard critique s’ajoute la joie, et plus précisément la joie militante. Dans le travail de Z&T, le militantisme est une fête ! Dans une société hyperpolarisée, la joie s’affirme ici comme un espace militant où le merveilleux peut encore exister, revigorant en retour nos forces de régénération et de reprise.

Nous sommes comme ça. Nous sommes des meufs qui rigolent. Même s’il nous arrive des choses trash, nous prenons toujours le parti d’en rire. Nous nous inspirons seulement de notre manière de réagir dans la vie.

Notre travail artistique a muri avec notre militance. Pendant le confinement, lorsque toutes les violences étaient exacerbées, nos scènes étaient les squats militants ou Bezet La Monnaie Occupée – que l’on a d’ailleurs préparé au Théâtre National quand il était occupé par les artistes.

L’autodérision que l’on retrouve dans le spectacle vient de notre expérience de militantes. On en a tellement vu, on a tellement vécu de choses… C’est vraiment ça : elles, elles iront twerker sous la drache, tout en dénonçant et en ironisant sur le trash.

Nous sommes des meufs du collectif ! C’est la force du slam et du rap ! Tu n’es jamais isolée dans tes problèmes personnels. Tu appartiens à une communauté au sein de laquelle tu partages tes expériences, tes questions. C’est très solidaire. Le côté « collectif » aide beaucoup dans une société qui n’est absolument pas collective.
 

© Spid Spacer

Ce n’est pas anodin de présenter Beat’ume au Théâtre National ?

Nous avons envie de faire les choses bien. Parce que nous ne voulons pas trahir les personnes qui nous suivent depuis le début. Forcément, une grande partie des publics qui nous suivent, seront là. Certain·es spectateur·ices connaissent d’ailleurs le spectacle mieux que nous. (Rires) À cet égard, le prix des places nous préoccupe beaucoup parce qu’il n’est pas forcément accessible aux publics qui nous suivent.

La petite nouveauté que nous avons évoquée, et que nous ne dévoilerons pas, est une manière de convoquer toute notre équipe sur la scène.

De façon générale, nous citons beaucoup les personnes qui nous entourent. Il arrive souvent que les spectateur·ices fassent des stories durant les interludes : tiens, on vient de te citer dans Beat’ume. À l’occasion des représentations de Beat’ume, nous faisons souvent des ateliers avec le collectif Slameke. Ou une soirée avec le collectif Anti-Cyclone. Le but est d’emmener avec nous toute la communauté.


Lorsque l’on vient de l’underground a-t-on peur d’être « broyé·e par l’institution » ?

Nous croyons en ce que nous disons. Notre parole est politique. Si certaines institutions veulent récupérer ce que nous disons, grand bien leur fasse. Nous adorons nous confronter à des nouveaux publics. Nous sommes hyper friandes de leurs retours, nous les intégrons à notre réflexion.

Il y a un an, nous aurions craint d’être broyées par l’institution. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, nous sommes « rôdées ».

Nous ne quitterons jamais l’underground. Pour nous, ouvrir les portes du Théâtre National, c’est ouvrir les portes à d’autres spectacles du même type. En tout cas, c’est ce que nous espérons. C’est aussi une manière de dire aux slameur·ses et aux rapeur·ses : regardez ! C’est possible, faites des spectacles ! Nous encourageons vivement nos potes du slam et du rap à le faire.
 

Est-ce que les choses changent autour de vous ?

Non. La seule chose qui change c’est que nous parvenons à mieux analyser ce que nous regardons et/ou vivons. Nous en parlons mieux.

Nous sommes très lucides. Jouer Beat’ume ne change pas l’état du monde. En revanche, cela crée des solidarités nouvelles. Comme déjà dit, il n’est pas rare que des spectateur·ices viennent nous parler de ce qu’i·els vivent après le spectacle. On leur conseille de prendre contact avec telle association ou telle personne. Beat’ume ouvre la parole et le regard sur les situations de violences.

Au début de notre duo, nous avions un harceleur. Et il est toujours là, six ans après. Il tient ! (Rires) Nous sommes très fières de lui ! (Rires) Aujourd’hui, nous en avons d’autres, ils sont bien pires. Est-ce que cela va changer ? Nous ne le pensons pas. L’espoir réside dans la libération des paroles et dans les solidarités. Nous pouvons boycotter ensemble. Nous pouvons travailler sur la justice réparatrice ensemble.


Si vous deviez formuler un vœu pour 2025, quel serait-il ?

Nous voulons faire un EP rap et faire un concert. C’est d’autant plus possible que nous avons obtenu le statut d’artiste. Nous pouvons donc nous atteler à l’écriture des textes et à la composition de la musique. Nous aimerions aussi présenter Beat’ume à Marseille ! D’ailleurs, si vous avez des pistes, nous sommes preneuses !
Et quoi d’autre ? Faire tourner Anti-Cyclone partout ! Qu’Anti-Cyclone s’agrandisse ! Rejoignez-nous ! En fait, nous avons plein de vœux. Nous avons plein de dingueries ! (Rires)

— Entretien réalisé par Sylvia Botella en décembre 2024

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024