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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Entretien

Carnaval-mondes

Beste Cantate

La Drache
Couronnée de fleurs, l’immersion festive Beste Cantate de la Compagnie La Drache dans le Carnaval de Dunkerque pose sur lui un regard d’une grande intelligence, à la fois critique et tendre. L’occasion de poser deux questions à la chorégraphe Juliette Chevalier. Un retour à la vie par le prisme du collectif, du féminisme et du queer.
Simon Dardenne

Dans Beste Cantate, vous détourez le Carnaval de Dunkerque et son imaginaire populaire.

Depuis très longtemps, je fais le Carnaval de Dunkerque. Pour moi, il est le lieu de la liberté, de l’amour festif et de la fraternité. Il est collectivement très puissant. J’ai tenté de le mettre sur scène en m’entourant de personnes qui se revendiquent comme queer et/ou féministes. I·Els reprennent avec moi le folklore populaire dunkerquois tel que le Rigodon – sorte de chahut qui termine le défilé – et les danses populaires telles que la Macarena ou le Kuduro, dans lesquels nous injectons une dose de queer. Et en définitive, de l’utopie.

J’ai imaginé une histoire avec un personnage principal qui porte une couronne de fleurs sur la tête. Seul dans sa chambre ou dans sa salle de bain, il aspire à un endroit utopique : il imagine plein de petits personnages qui vont voyager avec lui. C’est ce que peut précisément la fiction : elle rejoint le réel.

Dans Beste Cantate, comme dans le carnaval, il y a plein de couches de réalité parce qu’on peut y être n’importe qui.
 

Pourquoi est-ce si important pour vous de travailler sur le carnaval, aujourd’hui ?

J’ai débuté l’écriture de Beste Cantate en plein confinement. Ce qui fait donc plusieurs années. Pour moi, c’était nécessaire. Une semaine avant le confinement, je faisais encore le Carnaval de Dunkerque, je faisais la fête, j’étais au contact des corps. Une semaine après, j’étais confinée. C’était étrange à vivre. Je me suis alors demandé : comment pouvons-nous faire collectif, être ensemble et se toucher ? J’ai demandé à certains ami·es de faire « son carnaval à soi », de se déguiser chez ell·eux, de se filmer, et de m’envoyer leurs vidéos. Et à d’autres ami·es, de se filmer en train de jouer de la musique et de m’envoyer leurs capsules. Dans la foulée, j’ai écrit la partition de Beste Cantate.

Aujourd’hui, même si le contexte a changé, j’ai toujours la même envie : faire collectif. Ce qui m’amène à poursuivre ma recherche : de quelle manière pouvons-nous faire évoluer le Carnaval de Dunkerque ? Ce d’autant qu’à l’instar d’autres carnavals, il est controversé : sexisme, black face. (ndlr : en 2018, de nombreuses associations anti-racistes ont dénoncé la tenue de la Nuit des noirs, où les carnavaleux·ses se griment le visage en noir). En ce sens, le collectif Sirènes féministes dénonce notamment la représentation hypersexualisée de la Sirène de Dunkerque et les chants hyper-sexistes du carnaval. C’est la raison pour laquelle, les Sirènes féministes ont créé, entre autres, un nouveau carnet de chants en féminisant les paroles. Le folklore est très puissant. « Lutter » nécessite du temps. Pour moi, LA question est : comment pouvons-nous nous réapproprier le Carnaval ?

Tout simplement, j’aimerais inviter les spectateur·ices à nous rejoindre. D’ailleurs, pour cell·eux qui le veulent, i·els peuvent venir danser avec nous sur le plateau. Pour moi, c’est à la fois primordial et très beau.

— Propos recueillis par téléphone par Sylvia Botella en octobre 2024.

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024