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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Récit de saison

L’invention collective

Raoul Collectif
© Céline Chariot

Raoul Ubac né prussien à Malmedy, devenu belge neuf ans plus tard par le traité de Versailles, avait fondé en 1940 avec René Magritte la revue L'Invention collective à laquelle participèrent André Breton, Achille Chavée, Fernand Dumont, Marcel Lefrancq, Irène Hamoir, Marcel Lecomte, Marcel Mariën et Louis Scutenaire. Ce Raoul-là avait vingt-quatre ans lorsqu’est né Raoul Vaneigem, qui a donné son prénom au Raoul Collectif, tout un programme : « Pas seulement le cri d'alarme, mais surtout le cri de vie, le cri de l'enfance, le cri d'être vivant ».

« Les Raoul sont des individus extravertis, enthousiastes, d’esprit ouvert, sûrs d’eux, qui prennent plaisir aux activités en groupe », nous dit le web. Voilà pour la petite mythologie des prénoms, qui confirme ce que nous savons de Raoul Ubac, de Raoul Vaneigem et des Raoul du Collectif, au nombre de cinq comme le nombre de lettres contenues dans ce prénom que plus personne ne donne aux Kevin et Noah d’aujourd’hui. Pourtant le Raoul Collectif, né à Liège, cette marmite d’artistes polyvalents, pour se produire en divers lieux - Avignon en passant - brille au firmament de nos souvenirs de scènes.

Le rattacher à un courant semble impossible, c’est bien pour cela qu’il est belge comme le surréalisme de l’Invention collective qui n’avait ni pape ni papa bien que Breton y figurât. C’est l’une des leçons de l’exposition montrée ce printemps 2024 à Bozar sous un titre– « Histoire de ne pas rire » - qui eût convenu, au pluriel, à la trilogie des Raoul : on rit alors qu’on devrait ne pas rire, puisqu’il est question de tout ce qui est absurde et méchant et des chercheurs fébriles que nous sommes avec nos petites lampes au milieu de la nuit. Si le surréalisme français est mort, théorisé et confit en Breton, vive le surréalisme belge, éternellement modeste, élégamment potache, qui n’a cessé de mener sa vie ondulante et discrète jusqu’à aujourd’hui, multipliant les reconversions politico-poétiques.

Collectif un jour, collectif toujours : programmer la trilogie sur trois semaines, elle qui s’est construite dans le temps long, est une révélation. C’est nous démontrer de manière éclatante qu’une création débridée et d’apparence aussi ingénue que ses interprètes, peut-être millimétrée ; que la folie visuelle est sœur de la lucidité ; et que l’esprit démocratique, à défaut de fonctionner sur notre terre où tombent les bombes et dans les airs où grillent les oiseaux – il fait si chaud, si chaud, si chaud -, trouve son terrain d’exercice dans ces agoras que sont devenus nos scènes.

Dans ces trois traversées tempétueuses et magiques, Le Signal du promeneur, Rumeur et petits jours et Une Cérémonie, rien d’une démonstration thèse-antithèse-synthèse. Tout est jeté comme du sable doré à la face des spectateurs, balancé comme le squelette gracieux d’un ptérodactyle, mitraillé comme ces répliques dont l’énergie jamais ne faiblit, feu d’artifice verbal, chorégraphique et musical, jusqu’au bouquet final, oh ! ah !  encore ! quoi, c’est déjà fini !? ne voyez-vous pas qu’on en veut encore !? qu’on a peur de retourner dans le noir !? Qu’on aspire à prolonger ces présences qui éclairent ici et maintenant et ailleurs et demain !?

Alors donnez-leur, donnez-nous, les moyens de poursuivre cette aventure qui, comme tout ce qui durablement enchante, est née sur un confetti pour en jeter des brassées aux yeux du monde. Oui, il y a un imaginaire d’ici, un génie du lieu dont l’esprit vibrionnant ne sera jamais démodé dans un monde à l’obsolescence perversement programmée, bref (pour faire bref), un Ravissement Absolument et Obstinément Utile et Libératoire. Un Raoul.

— Caroline Lamarche
 

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024