Points
de fuite
La guerre aux portes de l’Europe, en Ukraine comme au Moyen-Orient, à Gaza, au Soudan ou à l’Est de la République démocratique du Congo, menace de nous enfermer dans un « en-soi » haineux.
Le fascisme trouve toujours le moyen de ressurgir, de s’insinuer dans les alvéoles de la cité. Rien ou peu de choses ne semblent l’arrêter. Au moment même où près de 4,1 milliards de personnes dans le monde sont appelées à voter dans 68 pays. Au moment même où plus d’un million de jeunes belges vont voter pour la première fois.
Comment retrouver « le tissu-fleuve du vivant » dans sa richesse revigorante, son amour, son cosmopolitisme ? Comment œuvrer à la reconnaissance authentique de chacun·e dans ses embranchements collectifs ?
La culture du vivant. Nous ne cessons d’y revenir. Nous avons conscience de sa force de régénération qui insiste et tient bon, devant nous. Elle nous oriente, nous abrite, nous transforme et nous soigne. À nos yeux, c’est aussi cette main qui trace la ligne d’horizon, qui serre affectueusement celle d’un·e ami·e, qui nous tient, qui saisit la branche et lève haut le poing. Cette main qui donne confiance, et que la douceur apaise. Ce devenir-contact saisi par Maak & Transmettre (Espace de création textile / Alice Emery, Mathilde Pecqueur, Salomé Corvalan) et ses femmes artisanes qui ont tufté le Rideau de saison.
Il en va ainsi pour le Théâtre National Wallonie-Bruxelles. En tout cas, c’est ce à quoi nous aspirons, là où nous nous situons. Franchir son seuil, c’est renouer avec l’immensité du proche et du lointain. Loin de figer l’identité, il nous fait goûter une prolifération de formes indéfinies, nous accompagne dans leur découverte, il tient bon parmi nous, avec nous, malgré nous.
Artefact du vivant, transfrontalière, enjouée, paisible et secouée, la saison 2024·2025 ne cesse de se métamorphoser entre septembre et mai, immergée dans des relations de toutes sortes et de toutes parts ; elle s’enracine dans la puissance des variations, des couleurs et des genres, des végétations et des zones urbaines qui coexistent en une multiplicité d’émotions.
Dans le prolongement des saisons précédentes, la saison 2024·2025 révèle de nouveaux points de fuite, elle renverse les paysages et les rend plus habitables, plus respirables. Elle continue de faire émerger des rencontres inestimables, celles d’un théâtre et ses publics, celles entre artistes, celles entre publics et artistes, entre partenaires. Bien d’autres encore, indescriptiblement libres, que déploient, entre autres, les temps forts inventés pour rapprocher, rassembler et fédérer, comme autant d’instants précieux, dont les très attendus Jours de fête qui font leurs les arts circassiens avec Latitude 50 – Pôle des arts du cirque et de la rue à Marchin en Province de Liège en ouverture de saison en Wallonie. Ou l’incontournable festival Scènes nouvelles tourné vers la création émergente belge francophone, prolifique et éclectique. Ou bien l’audacieux MàD (Mots à Défendre) conçu sur mesure avec les autrices associées Caroline Lamarche et Joëlle Sambi. Ou encore le singulier À la scène comme à la ville et l’inauguration de la Maison Gertrude, centre d’art en maison de repos, au cœur de Bruxelles, avec Mohamed El Khatib.
Qui sait mieux qu’un·e artiste accompagner les changements de saison, faire jaillir les bourgeons sur le sol meuble ?
Claude Schmitz, Yousra Dahry et Mohamed Ouachen, Magrit Coulon, Marion Duval ou Zora Snake composent avec tout ce qui les entoure, avec un feu ardent. L’artiste associée Hendrickx Ntela, Juliette Cavalier – Cie La Drache et les artistes du Cirque Exalté avec UP – Circus & Performing Arts transforment l’atmosphère et apportent la fraicheur et la fête. Eszter Salamon joue avec les formes retro-futuristes et hypnotiques et suspend le temps. Chela De Ferrari / Teatro de la Plaza de Lima et Christophe Sermet dialoguent au présent avec Shakespeare dans des alliances esthético-temporelles mythiques. Il en est de même avec Carme Portaceli et Michael De Cock autour de l’œuvre de Gustave Flaubert, sublimée par l’Orchestre Symphonique et le Chœur de la Monnaie. Emilienne Flagothier, Simon Thomas ou la Cie Renards / Effet Mer communiquent par le rire et résistent. Jorge León avec Claron McFadden, Simone Aughterlony et Rokia Bamba échangent harmonieusement avec Lucy. Ivo van Hove abrite sans limite la légende Bergman.
Les temps de grand froid ou de canicule, tous·tes nous recommandent de ne pas s’endormir pour ne pas prendre mal.
Ici, l’horizon s’enracine. Le jour va apparaître, demain et toujours.
Pierre Thys, Directeur général et artistique
& l’équipe du Théâtre National Wallonie-Bruxelles