Le Vaudeville
Quiproquo et intrigues
Le terme « vaudeville » apparaît au début du XVIe siècle. Il proviendrait des termes « voix de ville » qui désignaient une chanson populaire satirique. Il pourrait aussi provenir d’une région normande, les Vault de Vire, où un genre de chansons légères s’est développé et constitué en recueils.
C'était à l'origine, un type de chanson populaire plutôt satirique, d'allure légère, adaptant différents textes sur des mélodies connues et devenant le style par excellence des chansonniers parisiens.
Au XVIIIe siècle s’y glissent des parties jouées, constituées de petites anecdotes mises en scène. On pourrait comparer ce genre à certains numéros de chansonniers aujourd’hui. C’est de cette forme que découlera l’opéra-comique qui mêle chansons et bouffonnerie.
Après la Révolution française, le public, lassé des guerres et des épisodes sanglants de la Terreur marque de plus en plus son intérêt pour le théâtre de divertissement.
À cette époque, Alain-René Lesage écrit de nombreuses courtes pièces en un acte construites autour d’une anecdote et parsemées de chansons et de couplets. Ses pièces seront jouées aux théâtres de la Foire St Laurent et de la Foire St Germain à Paris et participent à l’élaboration du genre vaudeville.
Au XIXe le vaudeville devient un genre théâtral libre. Il s’agit d’une comédie légère sans intention psychologique ou morale, et sans prétention littéraire mais son origine populaire et musicale reste centrale.
À Paris, durant tout le XIXe siècle le Théâtre des Variétés et le Théâtre du Vaudeville – tous deux consacrés au vaudeville – ne désemplissent pas. À l’époque du renouveau romantique, c’est-à-dire à partir de 1830, c’est encore le vaudeville qui demeure le genre le plus joué et le plus demandé par le public.
Vers 1860, la musique disparaît pratiquement des vaudevilles – cela correspond aussi au développement de l’opérette. Ils se fondent avec la comédie de mœurs et tiennent désormais le haut du panier du théâtre comique.
Du vaudeville sans chansons qui domine tout le XIXe siècle on passe ensuite progressivement au théâtre dit « de boulevard » (spectacles qui se tenaient au Boulevard du Temple) qui a popularisé le comique au théâtre et fait de Paris la « capitale du rire » et de « l’esprit français ».
Si plusieurs dramaturges vont faire du vaudeville des chefs-d’œuvre, ce ne sont pas les qualités littéraires du genre qui sont recherchées mais plutôt l’efficacité de l’intrigue et le savoir-faire comique des interprètes. Le cinéma français va s’emparer des codes du genre et c’est la même recette qui est à la base des succès de Louis De Funès, Jean-Paul Belmondo ou Pierre Richard.
Aujourd’hui, le vaudeville déclaré de multiples fois passé de mode puis ressuscité, continue à se réinventer par la pratique scénique.
Les mécanismes du vaudeville
Véritable machine à jouer, le vaudeville est construit sur des malentendus et sur un comique de situation. Sa structure narrative repose sur le quiproquo et une intrigue qui se complique, parfois jusqu’à l’absurde. L’argument est léger, souvent grivois. Le plus caricatural, où le vaudeville se confond avec la comédie de mœurs, est l’adultère et le trio mari-femme et amant ou maîtresse. Ceux-ci se succèdent rapidement sur scène, se croisent sans se voir, et donnent naissance à la fameuse réplique : « Ciel, mon mari ! ».
C’est un genre qui – par le fait qu’il repose sur un comique de situations – demande une grande inventivité scénique et un véritable travail d’acteur. Des portes s’ouvrent, des armoires se referment, des amants et des maîtresses entrent et sortent des lieux les plus inattendus. C’est donc un théâtre qui trouve son intérêt et sa virtuosité dans sa résolution scénique. Le plateau y semble piégé, encombré de cachettes et de portes dérobées, qui ménagent des entrées et des sorties toujours plus spectaculaires aux différents protagonistes.
L’acteur et ses prouesses scéniques y tient un rôle central et les auteurs en tiennent compte lorsqu’ils écrivent leurs pièces.
Le vaudeville a presque toujours comme décor l’intérieur d’une maison bourgeoise, avec ses meubles lourds, sa multitude d’objets, toutes ces possessions qui caractérisent la nouvelle classe dominante très attachée aux choses matérielles. Dans ces intérieurs vivent des hommes et des femmes avec leurs secrets contradictoires mais aussi les nombreux domestiques qui sont là pour servir Monsieur et Madame et qui semblent souvent des utilitaires interchangeables mais qui sont aussi les yeux et les oreilles silencieux des intrigues qui se nouent.
Au-delà du comique, le vaudeville se présente aussi comme une critique ironique des mœurs et des travers de la bourgeoisie française et, à travers l’humour, dénonce les faux-semblants, les illusions et le mensonge social de cette classe dominante. Le public de théâtre est composé de bourgeois qui vont au théâtre et cherchent à se divertir, en prenant plaisir à rire des travers de leur classe. Les auteurs-clefs des vaudeville du XIXe siècle sont des représentants de la bohème artistique parisienne mais aussi majoritairement issus de la bourgeoisie. Ils aiment à caricaturer leur propre monde et ses travers, us et coutumes.
La société du XIXe telle qu’elle est caricaturée dans les vaudevilles est une société guindée, pleine de règles, de tabous et de non-dits. Une nouvelle classe assise sur ses privilèges et dominée par la peur de les perdre. Cela donne des personnages souvent univoques, mus par leurs désirs et leurs obsessions, et dont le comique est lié à la répétition d’attitudes ou de phrases mais aussi de lapsus récurrents.
Les auteurs-clefs du vaudeville
Eugène Scribe (1791-1861)
Eugène Scribe – quoique un peu oublié aujourd’hui – est un des plus illustres auteurs de vaudevilles : il développe dans ses pièces un art de la construction dramatique et de la progression, et est considéré comme le maître de la « pièce bien faite ». Tout découle d’un incident de peu d’importance qui entraîne des actions en cascade avec une logique implacable. Scribe fait partie des auteurs les plus joués en France et dans le monde durant le XIXe et le début du XXe Siècle. Pour l’anecdote il est aussi l’auteur du livret de la Muette de Portici qui conduisit à la révolution et à l’indépendance de la Belgique.
Eugène Labiche (1815-1888)
Issu d’un milieu bourgeois, Eugène Labiche s’attache à décrire les travers de son milieu et les clichés verbaux, intellectuels et moraux de la bourgeoisie du Second Empire, dans ses comédies et ses vaudevilles.
Elu à l’Académie Française en 1880, il contribue à donner ses lettres de noblesses au genre, avec par exemple Un Chapeau de paille d’Italie ou Le Voyage de Mr Périchon qui sont parmi les pièces les plus jouées à la Comédie Française. Ses vaudevilles tiennent plus de la comédie de mœurs ou de caractères (c’est-à-dire une comédie considérée comme plus « sérieuse », plus « littéraire ») où il fait une satire mordante et ironique de son milieu bourgeois d’origine.
Voici comment celui-ci décrit ses procédés d’écriture :
« Je prends une main de papier blanc, du papier de fil, je ne trouve rien sur un autre, et j’écris sur la première page : PLAN. J’entends par là la succession développée, scène par scène, de toute la pièce, depuis son commencement jusqu’à la fin. Tant qu’on n’a pas la fin de sa pièce, on n’en n’a ni le commencement ni le milieu. Ce travail est évidemment le plus laborieux, c’est la création, l’accouchement. Une fois mon plan fini, je le reprends et je demande à chaque scène à quoi elle sert, si elle prépare ou développe un caractère, une situation, enfin si elle fait marcher l’action. »
— Philippe Soupault, Eugène Labiche, Paris, Mercure de France, 1964.
Georges Feydeau (1862-1921)
L’œuvre de Feydeau est intimement liée à la Belle Époque et à l’essor de la bourgeoisie de la IIIe République avide de divertissements et de sorties. Lui-même noctambule, passionné de jeux d’argent, Feydeau vit la nuit et caricature ses contemporains et le milieu superficiel qu’il fréquente, dans ses pièces. Ses personnages sont des sortes de pantins emportés dans la mécanique infernale de l’intrigue. Divorcé et ayant connu une vie sentimentale tumultueuse, il va aussi développer les intrigues de couples et les mécanismes de la tromperie dans plusieurs de ses œuvres. En véritable technicien, il développe tous les mécanismes du comique de situation qui engendrent le rire : coïncidences, rencontres imprévues, coups de théâtre, malentendus qu’il pousse jusqu’à la folie. Par beaucoup d’aspect on voit en Feydeau le précurseur de l’absurde au théâtre et son sens du rythme annonce déjà le cinéma comique du XXe siècle. Il assume souvent la direction d’acteurs de ses pièces et en connaisseur du plateau impose de nouvelles façons de jouer aux acteurs dont les apartés, la connivence et les adresses frontales au public.
Bibliographie
Le théâtre en France, Jacqueline de Jomaron (sous la direction de)
La Pochothèque, 1992
Grandes heures de théâtre à Paris, P.A. Touchard
Librairie Académique Perrin, 1965.
L’Empire du rire, XIXe-XXIe, Matthieu Letourneux, Alain Vaillant(Sous la direction de)
Paris CNRS, 2022.
Histoire du Pastiche, Paul Aron
Paris PUF, 2008
Podcast
Ca ne peut pas faire de mal : Georges Feydeau, le maître du vaudeville
France Inter, mai 2020.