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Théâtre National Wallonie-Bruxelles
ВОЛЯ

Maksym Holenko

Directeur en chef du Vasyl Vasylko Théâtre académique musical et dramatique (Odessa) & directeur en chef du Théâtre Sauvage (Kyiv)

Un mois après l'invasion russe en Ukraine, Maksym Holenko a commencé à mettre en scène l'une des pièces ukrainiennes contemporaines les plus actuelles : Sacha, sors les poubelles ! de Natalka Vorozhbyt. Cette pièce raconte la vie et l’au-delà d'un soldat ukrainien qui n'était pas apprécié de son vivant. La guerre change tout et il revient dans ce monde pour rejoindre l'armée ukrainienne afin de défendre le pays.

Que se passe-t-il dans votre théâtre ? Travaillez-vous actuellement ?

Tous les théâtres d'Ukraine – à l'exception de ceux de l'ouest du pays – sont actuellement à l'arrêt, ce qui signifie que toutes les activités professionnelles sont temporairement suspendues. Il nous est impossible de jouer. Mais notre théâtre a trouvé une solution. Nous avons ouvert une nouvelle scène dans l'abri anti-bombes. Après le début de la guerre, nous avons découvert cet abri dans le sous-sol de du théâtre. Auparavant, les locaux étaient utilisés comme quai de déchargement. Maintenant, nous l’utilisons pour sa fonction première, ce qui nous donne l'occasion d'accueillir du public. Le 30 avril, nous y avons présenté la première de notre nouveau spectacle "Sacha, sors les poubelles". Nous avons conçu ce spectacle pour qu’il puisse voyager facilement afin de pouvoir le présenter aux Forces armées ukrainiennes et aux volontaires.

Au vu des circonstances, quels sont les changements dans le processus de répétition ?

En général, les conditions et les délais sont clairs, et nous travaillons assez vite. Mais maintenant, nous prenons notre temps. Le travail est devenu davantage une thérapie. Il permet aux gens de se voir, de se soutenir, de savoir qu'ils sont vivants. Bien que les répétitions soient souvent interrompues par les alertes des raids aériens, l'équipe est déterminée à poursuivre.

Les acteurs du théâtre restent-ils dans la ville ?

Seuls dix des cinquante acteurs associés sont encore à Odesa. Dix servent dans les Forces armées ukrainiennes, parmi lesquels nos acteurs principaux. Une quinzaine d'actrices ont quitté le pays pour trouver refuge en Europe, d'autres se sont installées dans des endroits plus sûrs en Ukraine. Il n’était donc plus possible de jouer.

Pensez-vous qu'il y ait un besoin de théâtre aujourd'hui ?

Les gens ne peuvent pas vivre constamment sous la pression de la guerre. Ils ont besoin de réconfort, de la possibilité d'exprimer leurs sentiments. Ils ont besoin du théâtre. Celui-ci fait partie de leur vie quotidienne, de leur vie en temps de paix. Le théâtre ramène à la vie.

Les Ukrainiens méritent de pouvoir aller au théâtre, à condition que ce soit sans danger. Le théâtre, c'est l'énergie pure de la vie. Quand il y a tant d'énergie mortifère autour de nous, il y a un immense besoin de se nourrir de cette énergie vitale.

Quels étaient vos projets avant le 24 février ?

Nous avions de nombreux projets pour cette année, huit nouveaux spectacles, dont plusieurs devaient être dirigés par des metteurs en scène européens. J'allais moi-même mettre en scène une comédie musicale basée sur l’œuvre d'Isaac Babel (un écrivain ukrainien qui a été arrêté par les Soviétiques sur de fausses accusations de terrorisme et d'espionnage en 1939, puis exécuté). Mais aujourd'hui, alors que seuls un cinquième de la troupe est disponible, nous sommes obligés de changer nos plans, de nous adapter à cette nouvelle réalité.

Quel est le mot qui caractérise le mieux les Ukrainiens, en tant que nation ?

Il y a un bon mot qui peut décrire un Ukrainien : gazda qui veut dire "propriétaire terrien", mais dont la signification est beaucoup plus large. Gazda est quelqu'un qui prend soin de son foyer et le fait prospérer. Nous sommes une nation de gazdas, de propriétaires terriens, de maîtres de maison. Nous savons que notre bien-être dépend de nous, aussi n'hésitons-nous pas à prendre nos responsabilités.

Dans les situations critiques, chacun d'entre nous peut se ressaisir, faire des efforts supplémentaires et accomplir des tâches incroyables. Nous n'attendons pas patiemment qu’un chef nous guide et prenne des décisions pour nous. Nous n’exaltons ni ne vénérons les leaders. Nous pouvons donner du pouvoir à quelqu'un, mais si nous voyons qu'il ne le mérite pas, qu'il l'utilise à ses propres fins, nous le dépossédons. Je pense que c'est un signe que la nation est vivante. Ce libre arbitre inné ne nous permet pas de devenir un état autocratique.

Pourquoi les Ukrainiens se battent-ils ?

Les enjeux sont élevés – agir ou mourir. Perdre la guerre signifierait la mort de la nation. Ce que nous vivons maintenant n'est rien d'autre qu’un génocide. Maintenant, nous n'avons plus que deux possibilités : soit survivre, soit nous éteindre. Je vais vous dire une chose horrible : Poutine a fait pour la nation ukrainienne plus que quiconque auparavant. Il a réussi à unir le peuple ukrainien en une entité soudée. Encore et encore, il nous met dans des situations telles que nous sommes obligés de trouver des ressources supplémentaires pour survivre et nous fortifier. C'est en 2014 que nous nous sommes libérés du paradigme post-soviétique et post-impérial et que nous avons commencé à nous identifier comme « nation ». Ensuite, nous avons totalement pris conscience de notre identité nationale. Nous avons fait face à un véritable ennemi qui est venu pour nous éliminer. Mais cet ennemi ne savait pas que si nous sommes opprimés suffisamment durement (et c'est le cas aujourd'hui), nous pouvons rassembler toutes nos forces, nous accrocher et riposter. Et voyez le par vous-même, les gens arrêtent les chars russes à mains nues.

Paix ou victoire ?

Vous devez comprendre qu'il n'y aura pas de paix sans victoire. La victoire est la seule issue. Seule la victoire apportera la paix. Si nous « acceptons » la paix, ils profiteront du répit pour reprendre des forces et préparer une nouvelle « campagne ».

Quelle est la première chose que vous ferez après la victoire ?

Je dormirai la nuit. Depuis presque deux mois, ni la fatigue, ni les pilules, ni l'alcool ne peuvent m'aider à combattre cette insomnie. Je passe mon temps à ruminer. Puis j'arrive à m'endormir à 7 heures du matin alors que je dois être au travail à 11 heures. Et je ne peux rien y faire. Alors, après la victoire, j’irai me coucher et dormirai autant que possible.

ВОЛЯ / The Free Will: Ukrainian Theatre People in War est un projet du Théâtre National Wallonie-Bruxelles réalisé par Yulia Ostrohliad.

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024