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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Michèle Anne De Mey raconte #Amor

L'incident de Toronto

© Hubert Amiel

Conséquence d’un choc thermique à -30° lors d’une tournée hivernale au Canada, la danseuse et chorégraphe Michèle Anne De Mey est soudain, dans l’aéroport de Toronto, frappée d’un coma abrupt dont elle ne reviendra que plus tard.
Cette « expérience imminente de la mort », elle la transposera sur le plateau. Avec la complicité de son compagnon Jaco Van dormael, ils créeront un seul en scène intitulé Amor.


 L’incident de Toronto

« Février 2016, la compagnie démarre la tournée en Amérique du Nord, première étape le Canada, d’abord Toronto une semaine Kiss&Cry et deuxième semaine, Cold Blood, première sortie pour ce spectacle qui a été en première en décembre.

C’est l’hiver, le grand nord Canadien, février. La température chute et la neige légère et piquante commence à tomber. Moins 27, moins 32, moins 38. Après la dernière représentation jouée en matinée je fais une promenade à la plage de Toronto sous un soleil couchant et un léger vent glacial avec Mathiew, Jaco et un couple d’amis. C’était une superbe balade, un peu trop longue peut être… Mais le froid m’a transpercé le corps malgré mon équipement de pro.

Après la nuit a été difficile, fièvre, diarrhées, sueurs ... Le lendemain matin il faut partir, s’envoler pour Montréal. Sans force me voilà à l’aéroport de Toronto dans la file pour enregistrer les bagages, Jaco mon amour et aussi toute la troupe sommes la valise à la main. Trop faible je m’assieds sur ma valise. Ensuite ...

Il y a une forte lumière blanche, extrêmement brillante et douce a la fois. L’espace est grand et indéfini, c’est un endroit que je ne connais pas. Il fait chaud, agréablement chaud, une chaleur caressante et bienfaisante. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais j’avance ou je flotte doucement.

Il y a aussi toutes les personnes que j’aime et qui m’aiment qui sont là, même ceux qui sont morts, et ceux qui ne sont pas encore là, qui ne sont pas vraiment des personnes mais qui sont vraiment là, présents. Il y a Jaco, mes enfants. Et puis surtout, il y a l’amour, je ne sais comment l’expliquer, mais il y a un amour si puissant autour de moi, qui me vient de ses personnes qui me traverse, qui m’inonde. De l’amour incommensurable, de l’amour pur. Et c’est magique, c’est l’endroit le plus fort où je n’ai jamais été.

A un moment, j’entends des voix, cela se confond, je reconnais la voix de Jaco, et puis une autre voix « Michèle Anne, serre ma main, Michèle Anne, reviens ! ». Je ne comprends pas, ou plutôt, je comprends, Jaco est aux deux endroits, je dois revenir, quitter…

Mais c’est très difficile, le désir est de rester là où je suis. C’est difficile, il faut essayer … « Michèle Anne, reviens ! » … On m’appelle ...

J’ouvre doucement les yeux. Je vois le plafond de l’aéroport, le visage d’Aurélie, je vois mon amour Jaco … Je sais que je suis revenue de là où je voulais rester … Je retourne, je reviens...

L’ambulance arrive.  Je suis revenue. La perfusion, s’il vous plaît, pas dans la main…

Jaco est avec moi, tout va bien. Plus tard j’apprendrais que j’ai eu un choc qui m’a fait tomber sans connaissance, un coma tubulaire pour une dizaine de minutes.

Je sais que là où j’ai été était un endroit de paix et d’amour où je voulais rester.

Je ne sais pas si cet espace est un espace de passage qui conduit à la mort, au rien ou au tout.

Ce que je sais, c’est qu’il y a pour moi un avant « l’incident de Toronto » et un après. Ce que je sais aussi c’est que je suis heureuse d’être en vie, qu’il y a une certaine peur qui m’a quittée. Et la plus belle raison d’être ici c’est l’amour.

L’amour, acte de résistance à tout prix. »

Michèle Anne De Mey

 

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024