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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Traversé par 3 mondes

Caroline Berliner / VOIX.E.S

© Laetitia Paillé

Je suis partie à la rencontre de ces jeunes gens, en proposant d’abord des cours de français langue étrangère. En les rencontrant, dans ce lieu très particulier du centre d’accueil du Petit-château, j’ai eu envie d’aller plus loin.

Inspirée par les travaux d’Etienne Tassin, philosophe français qui travaillait sur les politiques migratoires, j’ai pris conscience du fait qu’un migrant est toujours traversé par 3 mondes : celui d’où il vient, celui qu’il est en train de traverser et celui où il espère atterrir. Je me suis dit que cette idée de l’origine, de la situation, de la destination, est une chose qu’en Français Langue Étrangère on apprend beaucoup. Les verbes « être », « venir », « aller », sont récurrents dans l’apprentissage, que les personnes soient débutantes ou avancées. Irréguliers, ils sont très difficiles à assimiler. J’y voyais quelque chose qui racontait le parcours, en même temps le désir d’être là et à quel point les structures rendent compliquée la possibilité d’y être et de faire quelque chose ensemble. 

Je viens du théâtre et je suis toujours consciente que dans une séquence de radio, il y a une scène qui se joue. On le dit : à partir du moment où on pose un micro, on n’est plus dans le réel mais dans la fiction. Le Théâtre National est associé dans mon esprit à l’expression « Constructeurs d’histoires ». J’ai l’impression que le documentaire correspond finalement à cette démarche de proposer des spectacles avec un ancrage dans le réel assez important et une forme spécifique pour le raconter. Et sur Être, venir, aller, la question de la forme - comment essayer de raconter ensemble - était pour moi cruciale dans la recherche du dispositif. Le Petit-Château était une ancienne caserne militaire qui a servi de centre d’accueil pour demandeur.euse.s d’asile. C’est un lieu ouvert mais dont l’empreinte sonore raconte l’enfermement et confère au lieu une acoustique particulière. On entend beaucoup les sons de l’intérieur, le bruit des portes, la résonnance des couloirs etc. J’adorais également réécouter les jeunes dans les rushes, leur manière de parler, leur rythme, les répétitions, qui révèlent quelque chose de la mise en scène de soi de leur part, par rapport à la radio. Ils pouvaient « se la raconter » un peu, c’est très important à l’adolescence. Ils savaient que j’avais toujours un micro et que je tournais tout le temps. Il y avait donc aussi un jeu, une façon de s’amuser à « faire de la radio ».

Ces jeunes gens sont comme la plupart des ados, en mouvement pour construire son réseau, aller voir ses copains, s’investir dans des activités. Aujourd’hui, la section des mineurs du Petit-Château n’existe plus, elle a été fermée. Mais les jeunes gens du documentaire, que je continue à voir aujourd’hui, vivent une période impossible. Le confinement est terrible pour les personnes sans statut, encore en cours de procédure, qui travaillent dans la restauration, ou dans les homes comme aides-soignantes. Ils vivent dans des logements extrêmement précaires et vétustes. De plus, au nom du confinement, toutes les procédures d’asile sont ralenties – une des jeunes filles attend par exemple depuis 1 ans une audition. On dit d’ailleurs beaucoup que le confinement est un accélérateur des inégalités. Dans le contexte actuel, cela montre une jeunesse qu’on abandonne. Dont on ne prend pas en compte les besoins de construction, d’avenir, de projection.

— Propos recueillis le 17 février 2021.

Caroline Berliner présente 
le documentaire audio
Être, venir, aller 

dans le cadre de
VOIX.E.S, la saison à l'écoute
du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
voixes.theatrenational.be
Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024