Croire aux histoires qu’on se raconte
Violette Pallaro
On joue des rôles différents en fonction des sphères dans lesquelles on évolue. On ne jouera pas le même rôle si on est face à sa mère ou face à son patron, ses enfants, ses amis, un voisin ou quelqu’un que l’on croise dans la rue. Et c’est tout ce fonctionnement-là qui m’intéresse.
Je pars de faits réels que j’ai pu observer dans la vie quotidienne ou d’histoires qu’on a pu me raconter. Je pousse ces situations à l’extrême pour basculer dans ce qu’elles peuvent avoir de drôle, d’absurde, d’étrange, et même, souvent, de cruel.
Et il y a les récits d’imposteurs. Il s’agit de quatre personnes qui ont réellement existé. Certaines sont encore en vie. Il y a Misha Defonseca, une auteure belge qui a écrit un livre présenté comme une histoire vraie. Elle y raconte qu’à 7 ans, lors de la Seconde Guerre mondiale, elle aurait traversé toute l’Europe à pied, protégée par des loups, pour retrouver ses parents emportés par les nazis. Il y a Rosie Ruiz, une marathonienne d’origine cubaine, qui a triché aux marathons de New York (1979) et de Boston (1980). Elle s’est qualifiée à deux reprises en se faufilant dans les pelotons sans avoir couru l’épreuve. À l’époque, il n’y avait pas les puces GPS et autres systèmes de surveillance. Elle s’est ainsi propulsée à la première place. Mais dépassée par son propre stratagème, elle a livré plusieurs incohérences en relatant son exploit sportif, ce qui l’a démasquée. Frédéric Bourdin est un Français qui, jusqu’à l’âge de 30 ans, a usurpé des centaines d’identités d’adolescents. Soit des mineurs portés disparus, soit des identités fictionnelles. De 1990 à 2005, il est parvenu à intégrer des foyers pour adolescents abandonnés, et de là des familles d’accueil. Trilingue, il présentait également une grande capacité de mimétisme. Et le dernier en date : Claas Relotius, un ancien journaliste allemand du Spiegel. Une véritable vedette portée aux nues pour ses grandes qualités journalistiques. Jusqu’en décembre 2018, où, à l’âge de 33 ans, il avoue avoir falsifié une quinzaine de reportages qui avait fait sa renommée.
Ce qui me fascine chez ces imposteurs, c’est bien sûr ce besoin de faire croire certaines choses pour occuper une place, mais c’est aussi la crédulité dont le monde extérieur fait preuve face à ces mensonges. Quels sont les mécanismes qui se mettent en place pour qu’on se laisse duper ? Qu’est-on prêt à croire pour vivre, survivre dans un groupe, au sein de la collectivité ? En quoi avons-nous besoin de croire ? J’entremêle ces histoires « extraordinaires » avec des séquences plus quotidiennes car il y a des comportements humains dans notre vie de tous les jours, intime, professionnelle ou sociale, qui sont tout aussi parlants que ceux d’imposteurs avérés. Je m’interroge sur ce besoin qui nous pousse à croire aux histoires qu’on se raconte et qu’on raconte aux autres.
— Propos recueillis par Sophie Dupavé le 17 octobre 2019