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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Des situations qui peuvent développer toute une fantasmagorie, basculer de la réalité à la fiction

Un Loup pour l'homme / Violette Pallaro / Interview II

Mais on joue tous un rôle. À partir du moment où tu entres en contact avec une personne, il y a déjà quelque chose, ne fût-ce que de l’ordre de la courtoisie, qui se met en route et qui ne fait pas de nous forcément des faussaires. Le spectacle propose donc une vaste palette entre cette composition minimale inhérente aux rapports humains et ce paroxysme incarné par les imposteurs, qui relèverait plus de la manipulation ?
Oui effectivement. Lorsque j’interroge ces figures d’imposteurs, je me demande s’il s’agit de manipulation ou plutôt d’un comportement qui découle d’un besoin. Lorsqu’on écoute ces personnes, lorsqu’on se renseigne sur leur parcours, leur histoire, il n’y a pas forcément de processus conscient de manipulation. Parfois, ce comportement s’explique par le contexte social. Bien sûr il y a eu mensonge, mais ce qui est intéressant, c’est d’interroger la pression sociale qui les a poussés dans cette situation. Ou la cécité affective, ce qui est le cas de Frédéric Bourdin. Qu’est-ce qui explique qu’ils ont été amenés à se créer une autre identité et à chercher à occuper une autre place, quitte à user de moyens aussi grotesques que fascinants ? Plus quotidiennement, en amour, en famille, au travail, en société, nous sommes tous amenés à jouer un rôle, à y croire plus ou moins, et souvent à les tenir coûte que coûte ? Peut on pour autant parler d’imposture ? Je ne le crois pas, mais fondamentalement il s’agit pour moi d’un même processus : celui de la fiction, de la façon dont nous mettons, irrémédiablement, nos vies en scène. En ce qui me concerne, je trouve cette question tout à fait fascinante.


En t’écoutant, on comprend que certains contextes familiaux, professionnels ou amicaux peuvent être le terreau d’une tromperie qu’on pousserait jusqu’à la mythomanie, pour s’incruster dans un rôle social.
Je crois que si on perd la notion de la réalité, oui. C’est le jeu auquel on joue tous. On adopte des rôles mais en gardant la conscience de ce que l’on est réellement. Ce qui se passe avec ces imposteurs, c’est qu’ils ont dépassé les limites de la réalité. La fiction et la réalité s’entremêlent. Il peut y avoir des situations d’angoisse au travail ou des situations amoureuses dans lesquelles on perd parfois cette notion de la réalité. Au début du projet, j’ai fait beaucoup d’interviews dans le milieu professionnel. Et lorsque je me suis intéressée aux rapports dominant-dominé dans les milieux professionnels, le vocabulaire employé par les personnes que j’ai interrogées m’a vraiment surpris car la plupart du temps il relevait du conte : ils parlaient de forêt, de loup, d’être perdu dans une caverne…
C’était un vocabulaire très enfantin, un imaginaire lié à une situation d’oppression, d’angoisse alors qu’il s’agissait d’adultes à différents niveaux de pouvoir. Pour en revenir à cette perte de réalité, je pense que certaines situations peuvent éveiller en nous des moments où l’on peut effectivement développer toute une fantasmagorie, basculer de la réalité à la fiction.

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024