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Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Interview Vincent Hennebicq

Partie I

© Jean-François Ravagnan

Comment avez-vous découvert le roman de Yasmina Khadra ?

Il y a longtemps, au moment où il est sorti. Et j’ai mis longtemps à le lire. Et puis je suis retombé dessus. Et là, ce qui m’a marqué, c’est la trame principale. Je ne me souvenais pas du tout de ce livre. Je me rappelais juste que c’est un chirurgien dont la femme commet un attentat. Et cette chose-là m’a un peu poursuivi.  Je suis assez obsédé par les histoires qui partent de l’intime pour raconter des choses beaucoup plus grandes, des choses qui nous dépassent. Ça me fascine ce rapport entre les toutes petites choses et la grande histoire.

Qu’est-ce qui vous a bouleversé dans cette œuvre ?

Ce qui m’a bouleversé, c’est cette quête d’Amine. Cette façon de vouloir creuser…  Le fait de se dire : je ne peux pas sombrer uniquement dans la tristesse, mais je veux savoir pourquoi Sihem, ma femme, a fait cela… Il n’a pas de réponse évidemment, mais c’est le mouvement moi qui m’intéresse…Se dire : Je vais essayer de comprendre, d’avoir des clés. Et ça, cela m’a vraiment habité, au point moins même de vouloir faire ce voyage.

Pour moi, c’est une histoire plus grande que le conflit israélo-palestinien. Ça pose la question de : Que suis-je prêt à faire pour ne pas regarder le monde qui m’entoure ? Qu’est-ce que j’accepte de mettre en place pour avoir de l’argent, une famille, pour créer une bulle qui me protège du monde extérieur ? Cette bulle, Amine l’a construite car il décide de se naturaliser israélien, il accepte de travailler pour Israël, d’avoir un métier qui lui rapporte de l’argent, d’avoir une grande maison, d’avoir en fait tout ce dont on rêve…L’acte de sa femme Sihem va faire éclater cette bulle et rappeler qu’on vit dans un monde plus grand que cela, avec des choses qui nous dépassent et auxquelles on appartient malgré nous. Et ça, je trouve que c’est une question abyssale qui nous concerne tous.
Elle est très bien amenée dans le roman, cette question-là. D’ailleurs lors du voyage, les personnes interviewées revenaient sur le fait qu’il ne prenait pas vraiment sa femme pour une terroriste (et des deux côtés, tant en Israël qu’en Palestine). Elle était plutôt perçue comme le déclencheur du fait qu’Amine devait d’un seul coup ouvrir les yeux sur une situation plus grande que lui.

La musique occupe une place prépondérante dans votre travail. Qu’est-ce qui vous pousse à lui donner une telle envergure ?

Pour moi, la musique est un personnage à part entière. C’est le véhicule de l’émotion et des choses qui nous dépassent. Je suis un très grand lecteur, mais en même temps, je suis frustré par les mots car ils ne permettent pas d’atteindre l’essence des choses. J’aime bien relire les romans. Mais mon émotion n’est jamais la même car on vieillit, on a d’autres expériences et d’un seul coup, des choses nous frappent à la relecture. Je n’ai pas cela avec la musique. Bizarrement, la musique, je la relie toujours à une émotion particulière, à un moment particulier. Pour moi, elle est vraiment le vecteur de quelque chose qui ne s’analyse pas, mais qui s’ancre dans l’émotionnel et dans les souvenirs. La musique peut soit épouser une émotion, soit venir en contre point. Mon idée est de toujours jouer avec cela, de créer des frictions…

Comment la langue arabe s’est-elle imposée sur le plateau ?

Par hasard. Lors de l’audition avec Atta, il m’a demandé si pour s’échauffer, il pouvait jouer le texte une première fois en arabe. J’ai accepté. Fabian Fiorini était présent…On était fascinés par la musicalité de la langue et par le fait qu’on avait l’impression de tout comprendre. Et là d’un seul coup, c’est devenu une évidence. Fabian et moi, on était d’accord sur le fait que cela créait une dimension supplémentaire. Ensuite, Atta l’a joué en français, mais on est très vite revenu à l’arabe.

C’est aussi une très belle idée d’assurer le surtitrage en arabe quand le texte bascule en français.

Oui pour moi, c’était important. Les gens qui viennent assister à un spectacle en arabe peuvent aussi le suivre jusqu’au bout.

 

 

L'attentat / Vincent Hennebicq / interview

Le Rideau de saison, Maak & Transmettre · photo : Lucile Dizier, 2024