Philippe van Kessel
1946 - 2022
Aujourd’hui, le Théâtre National est en deuil. Il vient de perdre l’une des figures marquantes de son histoire. Philippe van Kessel s’en est allé. Nos pensées se dirigent immédiatement vers sa fille à qui nous adressons toute notre affection.
Nous saluons chaleureusement la personnalité de cet homme épris de théâtre. Nous lui devons un chapitre important de notre institution et une énergie salvatrice à la maintenir vivante quand l’incertitude planait sur son avenir.
Diriger un théâtre, c’est proposer un regard, épouser des courants, lancer des défis, dépister des talents. C’est parfois aussi mener des combats. Le Théâtre National doit beaucoup à Philippe van Kessel qui en fut le directeur de la saison 1990-91 à celle de 2004-2005 qu’il a codirigée avec Jean-Louis Colinet.
Lorsqu’il pose sa candidature à la tête du Théâtre National en 1989, Philippe van Kessel dirige l’Atelier Saint-Anne qu’il a créé en 1973 avec Stanislas Defize. D’abord installé au cœur du Sablon (rue St-Anne), l’Atelier prend ses quartiers rue des Tanneurs. Il en épouse d’ailleurs le nom en 1998 pour devenir l’actuel Théâtre Les Tanneurs. Philippe van Kessel anime un lieu hors normes. L’audace chevillée à l’âme, il aime sortir des sentiers battus. C’est donc à une personnalité peu conventionnelle que le CA de l’époque (présidé par feu Robert Delville) confie les rênes du National.
Jean-Claude Drouot le précède dans les fonctions. Nous sommes dans la Tour Rogier, en plein cœur de Bruxelles.
Homme d’équipe, Philippe van Kessel convainc quelques complices de l’accompagner dans l’aventure. Alfredo Canavate, Patrick Donnay, Jean-Pierre Baudson et le regretté Eric Firenze acceptent de le suivre pour dessiner les lignes artistiques des prochaines saisons, et offrir ainsi un tournant à l’institution. S’en suivent 10 années de créations, d’accueils et de paris merveilleux. Et puis, l’ombre des ennuis administratifs se déploie au-dessus de la Tour Rogier. Le bâtiment est cédé de promoteur en promoteur. Peu à peu, la Tour se vide et est finalement condamnée à la démolition. Le Théâtre National doit déménager. Il pose ses bagages au Pathé Palace. Des « voix vautours » en profitent pour suggérer la fin du Théâtre National et la répartition de sa dotation à d’autres desseins. Exit une grande scène nationale ? Philippe van Kessel se battra bec et ongles avec à ses côtés l’administrateur-délégué du TN, Myriam Van Roosbroeck, pour déjouer ce funeste destin.
Leur détermination donnera naissance au bâtiment du 111 Bd Emile Jacqmain. Philippe Van Kessel l’inaugurera en programmant la première saison du nouveau Théâtre National aux côtés de Jean-Louis Colinet.
Comédien, metteur en scène, directeur, nous n’oublierons pas Philippe van Kessel. Nous laissons à trois de ses complices le soin de terminer ce petit hommage.
Philippe mon ami,
Tu t'en vas comme ça, sans prévenir, toi à qui je dois tout, depuis mon premier engagement chez toi, dans ton Atelier Sainte Anne et ensuite au Théâtre National, où tu nous as entrainés... D'audace en audace, première création : "La Bataille" et "Germania mort à Berlin" d'Heiner Müller que nous jouions respectivement à 18h30 et à 20h... Belle entrée en matière pour le nouveau directeur du T.N. S'en sont suivies d'autres, notamment le "Dommage que ce soit une putain", avec le public sur le plateau et la scène faisant dos à la salle... Dernière réplique de la pièce : " TRISTE ÉPOQUE !!!". Adieu compagnon.
— Alfredo Canavate
1986 – Atelier St Anne – Jacques et son maître de Kundera – Je fais mon entrée dans ton théâtre.
A la suite de cela tu me demandes de jouer dans « La Tragédie du Vengeur » puis « Les Estivants ».
Un soir en 1989 lors d’une dégustation de vins, tu m’annonces que tu as posé ta candidature au Théâtre National et
Que tu veux qu’on t’accompagne à quelques-uns dans ce nouveau challenge. C’est le début d’aventures magnifiques,
De rencontres avec de grands metteurs en scène, d’incroyables tournées… et puis 30 ans de Théâtre National grâce à toi…
Je suis effondré car je te sens en moi, tu as construit l’acteur que je suis devenu. Je pense à nos éclats de rires, à nos virées nocturnes…
Je pense à ta dernière soirée du Th National, tu ne voulais pas qu’on se quitte on est resté jusqu’à 5h du matin.
Je pense à cette soirée à la maison où on avait visionné un tas de cassettes-vidéos avec interviews et extraits de spectacles RTBF jusqu’à 4h du matin ; Tu étais comme un enfant étonné.
On devait se voir bientôt pour manger un bout… Ne jamais remettre à demain…
Merci mon Philippe, pour ta confiance, ton amitié, ta fidélité. Tu me manqueras à jamais
— Patrick Donnay
Van Kess, grand séducteur devant l'éternel, épicurien à ta manière, bagarreur nocturne, grand artiste et pionnier des jeunes compagnies, tu fus mon mentor aux prémices de ma carrière, et je t'en serai éternellement reconnaissant.
Merci Philippe, de ta sensibilité, de ton élégance, et de ta grande fraternité.
— Jean-Pierre Baudson